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Hattie McDaniel, 1940


Getty Images

 

En dehors de Hollywood, personne ne connaît vraiment le nom de Hattie McDaniel. Pourtant, cette Afro-Américaine a endossé soixante-quatorze fois le rôle et le costume de domestique. Au cours de sa carrière, elle a joué avec des acteurs de grande renommée. Beaucoup la qualifiaient de femme douce mais amère. Ses rondeurs attiraient la sympathie, elle avait un sourire tendre, mais l’amertume se lisait dans ses yeux. L’amertume de se voir cantonnée à des rôles stéréotypés et de ne jamais pouvoir crever l’écran et le plafond de verre de Hollywood. Son talent et sa sensibilité n’avaient aucune importance. Elle était noire. « Je préfère jouer la bonne qu’être une bonne ! » répondait-elle à ses détracteurs, les membres des mouvements civiques qui n’avaient aucune idée de ce qu’elle traversait et espérait. C’est vrai, elle avait été domestique pendant la Grande Dépression. Elle avait souffert, elle avait connu la misère, alors elle savait de quoi elle parlait. Et à Hollywood, elle n’avait pas le choix, elle devait bien s’adapter à la réalité. Pourtant, Hattie McDaniel a fait la fierté de beaucoup de noirs américains : elle a réussi à persévérer dans le milieu cinématographique à une époque où le noir ne pouvait pas s’asseoir à côté du blanc. En effet, les lois et les usages régissaient la séparation entre les noirs et les blancs. Qui aurait pensé qu’un jour cette descendante d’esclave remporterait un Oscar ?

 

La grande salle de l’hôtel Ambassador est agitée. C’est la douzième cérémonie des Oscars. « Il paraît qu’une noire a été nominée pour les Oscars cette année ! Elle a joué dans Autant en emporte le vent, mais un rôle de domestique !»  s’offusque une jeune starlette. Le public bourdonne, les commérages vont bon train. Cette noire ne va quand même pas assister aux Oscars ? Elle ne va quand même pas détrôner une actrice blanche ? Un Oscar pour une noire ! Ce serait un fiasco sur le territoire américain. C’est impossible, inimaginable ! Clark Gable, qui tient l’affiche d’Autant en emporte le vent, est un homme de principes et décide de boycotter la cérémonie si Hattie McDaniel ne s’assoit pas avec l’équipe du film. On n’écoute pas ses requêtes et l’actrice noire est sommée d’attendre hors de la salle. Elle encaisse le coup sans ruer dans les brancards, elle s’y attendait. Son heure de gloire sera gâchée. Elle perd espoir en son pays. Elle attend, comme une indésirable, qu’on l’appelle. Si elle remporte cet Oscar, ce sera déjà un grand pas pour les Afro-Américains. C’est pour eux qu’elle attend, dehors, seule et humiliée. C’est pour eux qu’elle espère et qu’elle prie. L’attente est interminable. Quand soudain, un agent de la sécurité l’interpelle. Hattie McDaniel traverse la salle avant de monter sur scène. On ne l’applaudit pas, on la regarde à peine, on murmure. Mais elle reste forte, elle reste digne, elle marche comme une princesse, le menton levé, elle n’est plus une domestique, son rôle est important, légendaire, historique, elle est la première femme noire à remporter un Oscar.

 

L’Oscar lui est remis solennellement, et elle prononce ce discours resté mémorable à Hollywood : « C'est l'un des moments les plus heureux de ma vie, et je souhaite vous remercier pour votre générosité. Cette récompense me rend très humble ; et je la tiendrai toujours comme une étoile qui me guidera dans tout ce que je serai amenée à faire dans le futur. J'espère sincèrement que je serai toujours digne et que je ferai honneur tant à mes semblables qu'à l'industrie du film. Mon cœur est trop plein pour vous dire ce que je ressens, sinon que je vous remercie. Dieu vous bénisse. » En effet, elle ne peut conclure autrement. Que Dieu bénisse l’Amérique déchirée, l’Amérique suffocante, l’Amérique ségréguée. Que Dieu bénisse Hollywood et ses paradoxes.

 

À l’âge de 57 ans, Hattie McDaniel est emportée par un cancer du sein. Son dernier souhait est de mourir avec ceux qu’elle a côtoyés toute sa vie, ceux avec qui elle a travaillé tout au long de sa carrière, dans le cimetière de Hollywood. Plus de quarante ans après sa mort, une plaque commémorative est apposée au cimetière de Hollywood réservé à l’élite de l’industrie cinématographique.

 

Alan Alfredo Geday

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