Le Vietnam, c’est l’enfer des marines américains. Le pays a été coupé en deux depuis le début de la guerre, le nord procommuniste, et le sud du Vietnam en faveur d’une démocratie. Cependant, le sud du pays n’est pas totalement aux mains des forces de libérations vietnamiennes. La guérilla vietcong sévit dans l’ensemble du Sud. Les Vietcongs, ce sont les chemises noires, ce sont les communistes armés de FM-29, ce sont ceux que les marines américains tentent d’abattre à tout prix. Au péril de leur vie, les marines américains mènent en 1961 une opération « cherche et détruit ». L’opération se veut sans pitié et se solde parfois par des « missions Zippo » et l’incendie de villages entiers. Dans leur combat, les Américains comme les Vietcongs font de nombreuses victimes innocentes. Les Vietcongs se camouflent dans les villages, mais dans la forêt tropicale sous des branches de palmiers. Comme des fantômes, les forces vietcong peuvent à n’importe quel moment se lever de leur planque et mitrailler tout ce qui bouge sur leur passage. C’est la guérilla, les pertes américaines se comptent par milliers, et le ravitaillement de l’establishment est dérisoire comparé à la force de frappe Vietcong. Le Vietnam est un territoire hostile pour les marines. Ce n’est pas juste l’importance des forces qui fait la différence, c’est surtout une guerre tactique. Les Vietcongs connaissent mieux que quiconque leur territoire, et surtout bien mieux que les américains. Les Vietcongs ont truffé de mines toutes les rizières, et cela ne manque pas de faire exploser les villageois innocents qui y travaillent.
Les marines américains viennent de fouiller le village d’Ap Bac. Que pourraient-ils trouver dans ces huttes faites de branches de palmiers et de bananiers ? Ils n’ont rien trouvé. Pourtant, ils ont transpercé les matelas, vidé les sacs de riz, vérifié qu’aucun Vietcong ne se cachait dans les charrettes. C’est l’objectif de la mission « cherche et détruit ». Ils ont cherché mais ils n’ont rien trouvé. Ils ont vu des villageois apeurés, des femmes se cacher dans leur hutte et des enfants pleurer. Les voilà qui quittent le village d’Ap Bac en direction de la rizière.
Tout à coup, une mine explose. Un marine est touché. Les autres marines courent de toutes leurs forces sans réfléchir. Il faut rejoindre la brousse. Dans la plaine, ils sont une proie facile. On entend un vrombissement s'élever au-dessus des rizières. Ce sont des hélicoptères vietcong qui approchent. Les missiles tombent un à un sur les marines qui s’échappent. Plus que quelques kilomètres, et ils seront à l’abri. Leurs jambes se déroulent à une vitesse folle, propulsées par la peur. Ils hallucinent, et les vrombissements des hélicoptères se mêlent aux battements de leur cœur. Ils ne savent plus où ils sont, mais ils courent. La forêt est à quelques mètres. Ça y est ! Ils sont sauvés ! Quand tout à coup, les deux hélicoptères s’arrêtent à l’orée de la forêt. Le pilote vietcong appuie sur sa manette. Un missile est lâché. La bombe explose aux pieds d’un marine qui est propulsé dans les eaux de la rizière. Un autre se précipite sur le corps en hurlant. Le blessé a perdu les deux jambes et se vide de tout son sang. Mais il sourit comme un bienheureux. « Mon frère », murmure-t-il. Le marine tente d’arrêter l’écoulement, en vain. Il déchire son pantalon pour faire un garrot. Un autre marine tente de faire pression sur les plaies. « Laissez-moi ! » implore le blessé. Une larme coule sur sa joue, ses yeux se ferment. Chaque doigt qui se relâche est une perte, chaque doigt qui se relâche est un signe de la mort. La main du blessé tombe dans l’eau boueuse de la rizière.
Alan Alfredo Geday