top of page

Je t’aime à la folie, 1949


Getty Images

 

 

— Comme c’est romantique ! affirme Jane. Toi et moi, ici, seuls.  

— Je voulais que l’on passe du temps ensemble avant que notre vie commune soit chamboulée, lui dit son fiancé.

— Pourquoi serait-elle chamboulée ?

— Les enfants, c’est compliqué mon amour…

— Il n’y a absolument rien de compliqué avec les enfants. Tu ne devrais pas avoir peur ! insiste Jane. Surtout que toutes mes copines sont enceintes ou ont accouché ces dernières années. Je ne vois pas pourquoi, nous, on n’y arriverait pas !

— Je n’ai pas fait la guerre. Je n’ai pas débarqué comme tous les jeunes Américains sur les plages de la Normandie ou en Afrique du Nord ou même en Sicile. Leurs hommes, eux, ont fait la guerre et ils ont débarqué pour libérer l’Europe. Ils se sont absentés quatre longues années, ils se sont écrits des lettres, ils se sont promis beaucoup de choses.

— Ce n’est pas parce que tu n’as pas fait le débarquement d’Omaha que tu devrais refuser un bébé…

— Non mon amour, je ne refuse pas…C’est mon fils ! C’est juste que je suis envahi par un sentiment de culpabilité.

— Pourquoi serais-tu coupable ? Toi aussi, tu as participé à l’effort de guerre. La Navy t’a recruté dans une usine d’armements.

— C’est vrai, mais je n’ai pas fait la guerre. Je ne suis pas aussi fier que les hommes qui sont partis sur le front.

— Arrête un peu ! Enfin, s’énerve Jane. Tu mérites cet enfant comme tous les hommes de ce pays. Tu as travaillé jour et nuit, dans la fabrication d’obus à la chaîne. Et la guerre est terminée. Maintenant, c’est toi et moi, seuls, ici, avec notre futur enfant…

— Tu as raison mon amour, lui susurre son fiancé. Le temps est clément, et Clark Gable joue un magnifique rôle. Quel grand acteur, un monstre du cinéma !

— C’est magnifique ! Regarder Autant en emporte le vent, ici, en plein air, avec notre futur bébé. Tu penses qu’il entend ce que Clark Gable raconte ?

— Les bébés ressentent tout. S’il te donne un coup dans le ventre, c’est qu’il apprécie Autant en emporte le vent. Si tu sens qu’il bouge beaucoup, c’est qu’il ferait un merveilleux marin de la Navy.

— Ce sera la fierté de mon père qu’il rejoigne la Navy. Et de mon grand-père. Tous ont rejoint la US Navy et nous en sommes fiers. Mon amour, il n’arrête pas de bouger, je le sens. Le voilà, il vient de me donner un gros coup…

Son fiancé lui murmure quelques mots dans le creux de l’oreille : « Je t’aime à la folie ! » Les deux se sont promis un bébé à la fin de la guerre. Ce n’était pas facile mais Jane a enfin réussi à tomber enceinte. Et ce futur bébé, elle le dédie à la US Navy en mémoire de tous les soldats américains morts au front, à tous ces hommes qui ont sauvé l’Europe du désastre. C’est la cinquième fois que Jane regarde Autant en emporte le vent, et elle ne s’en lassera jamais. Elle observe son fiancé. Il est scotché devant Clark Gable. « Je t’aime aussi », lui murmure-t-elle. Elle reste pensive. Si c’est un garçon, elle l’appellera ainsi, si c’est une fille peut-être comme ça. Les hommes paniquent toujours à l’approche de leur enfant. Jane ne cesse de le réconforter et de le sortir de sa culpabilité. Son fiancé n’a pas pu aller sur le front pour des raisons qu’il ne connaît même pas.

 

Alan Alfredo Geday

bottom of page