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La rage de vivre, 2000


Getty Images

 

Le ciel est bleu sur le Bronx. Pas un nuage ce dimanche. Jimmy s’est levé tôt ce matin, à la musique de son réveil, programmé sur la station de radio de son quartier. Le Bronx est peut-être un ghetto aux yeux des habitants de Manhattan, mais Jimmy ne va pas se laisser abattre. Il est loin de l’agitation de la 5ème Avenue et du vertige des gratte-ciels. Il est loin de tout ça. Il veut exprimer son urgence de vivre, d’être et d’exister. Et quoi de mieux que de s’exercer à la danse hip-hop sur le toit d’un immeuble ? Il n’est pas là pour impressionner les passants, il n’est pas là pour crâner, il veut s’évader sur un nuage, dans un monde de liberté. Du haut de ses vingt-deux ans, Jimmy n’a pas subi la menace d’apocalypse de la guerre froide, il n’a pas connu le monde sans SIDA, les jeux vidéo sont un divertissement banal, et il était suffisamment jeune lors de l’introduction massive de l’informatique au grand public. Jimmy fait partie de la génération Y ou « digital natives », c’est la première génération qui a connu l’arrivée d’internet et des smartphones dans les foyers au cours de son enfance. C’est une génération qui a grandi avec le numérique, mais a également connu la vie « sans internet ». Il allume son haut-parleur, il monte le tempo, il enlève ses pantoufles et chausse ses dernières Nike assorties à son t-shirt bleu. Il saute à la corde pour s’échauffer.

 

Il ne laissera pas abattre. Oui, il a grandi dans le ghetto. Il connait les dealers qui trainent en bas de son immeuble. Ce sont les gars qui étaient dans sa classe, qu’il croise dans l’ascenseur, dont il salue la mère, dont il respecte le père. Il connait les prostituées qui tapinent au coin des rues. Ce sont les filles qui riaient à l’école, qui lançaient des avions en papier, qui couraient dans la cour, qui mettaient du rouge à lèvre dans les couloirs. Il connaît les gangs qui se battent au couteau. Il connaît ceux qui vendent de l’électronique dans le coffre de leur voiture. Jimmy n’a aucun jugement, mais il ne veut pas de cette vie-là. Heureusement, il est diplômé de l’université de Cornell à New York. Il y a quelques années, il a décroché une bourse pour continuer ses études. Sa mère a pleuré. Elle ne pouvait pas y croire. Il ne fallait pas la décevoir, et Jimmy a travaillé d’arrache-pied. Il allait devenir ingénieur en électronique. Il a passé des nuits entières à étudier, à tracer des schémas, à répéter les lois et les principes. Le soir, il bossait dans un restaurant pour six dollars de l’heure. Mais les pourboires étaient souvent généreux. Il a un sourire qui paye, un sourire si léger qu’on ne soupçonnerait pas ses efforts pour s’en sortir.  Et il a réussi. Le mois dernier, il a porté une toge et un mortarboard à pompon. Il est monté sur l’estrade pour récupérer son diplôme devant sa mère émue. Les électroniciens sont payés une blinde dans ce pays. Il ne se laissera pas faire à l’embauche. Jimmy est peut-être loin de la région high-tech des États-Unis, la silicon valley de Californie, mais les entreprises ont besoin de lui. Son avenir est entre ses mains. Et il est très exigent.

 

En ce dimanche, ces acrobaties sont merveilleuses. Il est heureux. Il a l’esprit léger. Le corps libre. Il se sent fort, et même invincible, ses muscles lui répondent parfaitement. Il est élastique et puissant. Il vient de recevoir une lettre pour un entretien à San Diego pour une compagnie qui conçoit des cartes vidéo. Il n’a jamais été accro aux jeux vidéo, mais le poste lui plait. Il préférait passer du temps devant la télévision, ça coûtait moins cher et toutes les générations pouvaient se retrouver chez le voisin qui avait la plus grande télé. Il se met à rêver de la Californie. Ses belles plages, sa côte ensoleillée toute l’année, et surtout les grandes vagues. Il pourra apprendre à surfer. Son corps d’athlète est fait pour le surf, il le sent.

Jimmy arrête de danser. Il regarde l’horizon, les gratte-ciels de New York. La Californie n’est pas très loin à vol d’oiseau ! L’avenir est entre ses mains !

 

Alan Alfredo Geday 

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