Nulle dictature sans propagande. Nulle force sans diversion. « Du pain et des jeux », disait-on au temps des Romains, il faut distraire le peuple pour l’endormir, et s’attirer ses bonnes grâces. Il faut entrer jusque dans son temps libre pour ne pas l’amener à réfléchir trop longtemps. Imposez-vous frontalement et vous fomenterez l’opposition, glissez-vous habilement et vous garderez les rênes du pouvoir.
Frères d’Italie
L’Italie s’est levée,
Du heaume de Scipion
Elle s’est ceint la tête.
Où est la Victoire ?
Qu’elle lui tende sa chevelure,
Car esclave de Rome
Dieu la créa.
On marche au milieu des montagnes des Dolomites en chantant. Que la nature est belle ! Que Dieu est grand ! Et vive l’Italie !
On suit la voiture conduite par deux hommes appartenant à l’opéra Nazional Dopolavoro. On est joyeux, on est réunis, on s’enthousiasme. Mussolini est le père des Italiens ! Il a réformé toute l’Italie. Depuis que le duce a mis en place son programme de temps libre pour les travailleurs, les ouvriers des grandes villes, et les paysans des campagnes, on voit souvent les foules se réunir au nom du temps libre. Dans les montagnes, dans les champs, au carrefour des villages. On profite de ce temps libre pour faire de longues excursions dans la nature, pour échanger, pour faire connaissance, pour se réjouir de l’existence de cette nation ! Et on entonne en chœur des chants patriotiques ! L’œuvre nationale du temps libre, créée pour promouvoir le sport, la culture et les divertissements, permet aux familles de se retrouver après le travail. Les hommes peuvent jouer au football et apprendre à bricoler, les femmes apprennent les premiers secours, l’hygiène et l’économie domestique. Les traditions italiennes se ravivent, les habitants des différentes régions se retrouvent autour de ces diverses activités. Les banderoles de la nation flottent, les drapeaux italiens vacillent. Ainsi les classes sociales italiennes communient dans la société fasciste.
— Je suis de Naples, et je suis venu avec mon fils Luca participer à cette marche du Dopolavoro ! confie une femme à une autre qui ne quitte pas des yeux son propre fils.
— Moi, c’est Nina ! Et j’ai rejoint Dopolavoro depuis six mois déjà ! Tu peux apprendre beaucoup de choses grâce à ces excursions. Par exemple, j’ai appris que l’on pouvait mélanger les ingrédients des montagnes avec les poissons de la mer.
— Pour faire un plat « mer et montagne » ? demande la femme.
— C’est bien ça, il faut plonger les anchois dans l’huile d’olive, et les sécher. Ensuite, mélanger les anchois séchés avec des champignons. On peut rajouter du thon en conserve et cuisiner le tout avec des spaghettis…
— Al dente bien sûr ! continue Nina.
— Mon fils Luca en raffole, ajoute la femme.
Luca vient de faire sa première communion. En bon chrétien ! En bon Italien ! Aujourd’hui, il est heureux de faire cette excursion avec sa mère. Son père est en Éthiopie, auprès des bons soldats de l’Italie. Il leur envoie des lettres régulièrement, il est fier de combattre pour sa patrie, pour étendre son pouvoir et son économie. Luca n’aime pas la guerre, même s’il est patriote, il est trop sensible pour comprendre la guerre. Sa mère lui a maintes fois expliqué que l’Éthiopie est un pays pauvre qui a besoin des Italiens pour grandir, mais tout de même, comment peut-on envahir un pays ?
Alan Alfredo Geday