Ce soir, la foule s’agite devant le Mocambo. Les femmes ont pris de l’avance sur les années soixante avec des jeans pattes d’éléphant troués, des chignons façon Brigitte Bardot et des bottes en cuir à la new-yorkaise. Les gens attendent l’ouverture du Mocambo et fument cigarette sur cigarette. Les couples descendent de leur voiture de luxe qui s’arrête devant le parvis de la boîte de nuit. Ce soir, le Mocambo accueille une invitée de prestige : Marilyn Monroe. La rumeur circule qu’elle a réservé deux tables au premier rang. Pourquoi deux tables ? Personne ne sait. La foule est impatiente. Elle va sûrement faire le show et animer toute la boîte de nuit. Car au Mocambo, on est là pour danser comme des fous et pour s’éclater comme des enfants. Le directeur du Mocambo a tenu à mettre des oiseaux dans des cages de verre : des mouettes, des pigeons, des cacatoès et même des perroquets. Ce n’est pas la venue d’un nouveau perroquet qui sait répéter « Marilyn Monroe » qui amuse la foule, mais bien la présence de cette dernière. Le Mocambo est ce petit bijou porte-bonheur qui peut lancer la carrière de tout un chacun. Ainsi a commencé la carrière de Frank Sinatra. « Laissez-moi entrer ! » hurle un homme. Les hommes s’emportent, ils veulent absolument entrer pour voir Marilyn. Mais le Mocambo n’est pas une boîte de nuit populaire, elle est réservée à l’élite de Beverly Hills.
Tout à coup, on entend un brouhaha s’élever dans la foule. Des sifflements fusent en tous sens. Une Rolls-Royce s’arrête sur le parvis. Quelques photographes immortalisent sa sortie. Qui est-ce ? Serait-ce l’invitée de prestige de Marilyn Monroe ? C’est une femme noire qui fait son entrée. Très élégante, à la française, elle foule le tapis rouge du Mocambo. La foule s’emporte. Le public veut la voir, la toucher. L’Afro-Américaine salue la foule qui se morfond dans l’attente et lance des baisers d’un geste de la main. Cette femme, c’est Ella Fitzgerald. Marilyn Monroe a insisté avec autorité auprès du propriétaire du Mocambo pour faire chanter Ella Fitzgerald ce soir. Car cette dernière s’est vu refuser maintes fois l’entrée des boîtes de nuit à cause de la couleur de sa peau. On ne peut rien refuser à Marilyn Monroe qui a jeté son dévolu sur la grande chanteuse noire. Dès qu’Ella Fitzgerald passe la porte du Mocambo, Marilyn l’accueille d’une chaleureuse accolade. C’est la première fois qu’elles se rencontrent. Les journalistes immortalisent l’instant.
Les clients rendent le silence. L’invitée de prestige de Marilyn Monroe s’est levée. Sa robe glisse sur le parquet, elle a pris place au-devant de la scène. Devant son micro, elle hésite à chanter, elle attend. Ella Fitzgerald observe Marilyn, une larme coule sur son visage. « Je voudrais te remercier, Marilyn, pour tout ce que tu as fait pour moi ! » lui dit-elle de sa belle voix. Les hommes applaudissent. Les femmes sont émues. Marilyn est touchée et ne peut cacher sa joie. Ella Fitzgerald saisit le micro et inspire. Elle ferme les yeux quand une voix divine s’élève dans la salle du Mocambo. Ella Fitzgerald chante Summertime de Porgy and Bess.
Alan Alfredo Geday