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Tirons la couverture, 1972


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Les lois sur le statut des femmes étaient issues du système juridique britannique, en vigueur avant la Révolution américaine. Il s’agissait de la doctrine de la « couverture ». Les femmes étaient couvertes par l’identité civique de leur époux. Alors, les maris avaient tous les droits. Droits sur les corps, sur les biens, sur les décisions et les opinions. Droits sur l’éducation des enfants, bien sûr. Droits presque absolus. La couverture était bien rêche ! Les croyances culturelles sur l’infériorité et l’incapacité des femmes allaient bon train. Les hommes avaient tout intérêt à préserver leur privilège. Ainsi, les inégalités n’étaient pas près de se terminer.

 

À l’époque de la Révolution américaine, au 18ème siècle, la loi Baron and Feme, une loi sur les relations conjugales, stipulait que le mariage donnait à l’époux un accès illimité au corps de sa femme. Il en découla un accès à ses biens et à ses revenus. Les femmes ne pouvaient bien sûr pas voter, puisque leur avis n’était pas assez éclairé et qu’elles étaient influencées par leur mari. Elles n’avaient pas le droit d’agir comme une personne juridique indépendante et ne pouvaient ni être propriétaires, ni passer des contrats, ni exercer des fonctions publiques ou siéger comme juré. Les femmes étaient bien trop irrationnelles, bien trop émotives ! La doctrine de la « couverture » les préservait de leur irresponsabilité. Sans mari, que deviendraient-elles ? Il fallait les protéger du fardeau des devoirs civiques, du lourd poids des affaires, de l’angoisse de la réflexion !

 

On estime que l’événement fondateur de l’histoire du féminisme américain fut la convention de Seneca Falls, en 1848, et le manifeste qui en résulta : la « Déclaration des sentiments ». Privées du droit de vote et exclues des partis politiques et des assemblées, les Américaines durent déjà défendre leur intervention dans la sphère publique. Les droits humains viendraient après. Ainsi, elles se battirent pour participer au débat, pour ébranler les lois, et se faire respecter officiellement ! Puis vinrent les mouvements sociaux pour défendre les droits humains, et les femmes blanches se mêlèrent aux femmes noires dans la lutte contre l’esclavage. Ces noires violées et dominées étaient le symbole d’une inégalité profonde qui s’ajoutait à la ségrégation raciale. Ces femmes étaient tout en bas de l’échelle sociale, moins qu’un noir, moins qu’un homme, elles n’étaient rien et ne méritaient rien.

 

Pendant près de soixante-dix ans, les femmes luttèrent activement pour leurs droits civiques. La première guerre marqua un tournant décisif. Ainsi, tout au long de l’année 1917, des suffragettes se postèrent silencieusement devant la Maison blanche, en brandissant des banderoles qui soulignaient le paradoxe d’une Amérique qui critiquait l’Allemagne pour sa violation de la démocratie, mais qui refusait le droit de vote à la moitié de sa population. Pour cette manifestation pacifique, elles furent vivement attaquées par des hommes en colère. Elles reçurent projectiles, insultes, crachats et coups. Elles furent également arrêtées par la police, troublant l’ordre publique. Inspirées par leurs sœurs britanniques, les Américaines arrêtées protestèrent pas une grève de la faim. Et enfin, elles obtinrent le droit de vote en 1920. Puis en 1948, la loi sur les normes du travail équitable (Fair Labor Standards Act) imposa au niveau fédéral la journée de huit heures et un salaire minimum pour les femmes aussi bien que pour les hommes, dans le cadre des réformes du New Deal de Franklin D. Roosevelt. Ainsi naquirent les prémices de l’égalité et de l’indépendance.

 

Les années 1960 et 1970 se distinguent par un changement de perspective dans le droit américain concernant les droits et devoirs des femmes. Sous la pression de l’opinion publique tolérant de moins en moins la dépendance forcée des femmes et les lois qui les affaiblissent, les assemblées et les tribunaux se mirent à reconnaître que les lois incarnant des stéréotypes sexués nuisent à la société dans son ensemble. Ils reconnurent aussi, ce que le régime de la « couverture » ne pouvait pas concevoir, que les hommes pouvaient dépendre des femmes et qu’ils avaient donc intérêt à ce qu’elles participent à la vie civique, en tant que sujets indépendants.

 

En cette année 1972, la lutte est encore active. Tirons la couverture vers nous ! Les Américaines n’auront jamais fini de se battre pour préserver ce qu’elles ont durement acquis, et pour grignoter, décennie après décennie, des parts d’égalité.

 

Alan Alfredo Geday

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